Tuesday, August 01, 2006

Londres-La-Voleuse

Le soir commence tout juste à se lever. La nuit se démaquille, elle a déjà enlevé sa robe pailletée. Ma bouche réclame un café. Je sors du bus 91. Il me faut trouver un café. Sur les bords du canal Saint-Martin, je sais qu’il y en a un. À l’instant où le serveur pose la tasse sur la table, ma Gitanes s’allume. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. La veille, le médecin me l’avait dit. Sa voix calme et douce prononçant ces quelques mots comme un verdict tranchant. Je n’avais pas bien compris. Je n’avais pas tout saisi. Ce que je sais à cette heure, c’est que je vais avoir la gueule jaune dans quelque mois, que le café me réchauffe, que ma clope m’arrache la gorge et que j’aime ça, que je commence à avoir froid et que Londres est une voleuse.
Cela fait déjà plusieurs semaines qu’elle est parti mais pourtant, à ce moment précis j’ai l’impression de ne pas l’avoir vu depuis des années. Le froid engourdis mes doigts et pour un premier août, ce n’est pas normal, ça fait du bien. Les douleurs reviennent à la surface et ce n’est jamais anodin quand c’est à cause de quelqu’un que l’on aime. J’essaye de savoir où, où ma vie s’arrête et où ma vie commence. Mon autre vie, celle qui est sans mon oncle, sans ma mère, avec les médicaments. Ma vie sans moi. Avec mes nausées et mes cauchemars. Il faut parfois savoir dire au revoir sans pleurer. Je cherche dans ma tête mes souvenirs d’enfance. Je les ai visiblement oubliés. Ai-je eut une enfance ? Je me rappelle quand je couchais mon père car il avait trop bu, j’avais dix ans. J’étais déjà un adulte. J’ai pas eu que des cadeaux, alors pourquoi en plus de cherché à plaire à un garçon vais-je devoir cherché à comment lui dire que je suis séropo ? Entre le fromage et le dessert peut-être ? Je n’ai même plus envie de continuer à respirer. Maintenant, c’est l’heure à laquelle les oiseaux chantent, l’heure à laquelle elle rentre des bords de la Tamise, je reste sur les bords du canal Saint-Martin. Je vois très bien l’image que cela nous renvois, un cheval noir qui nous regarde dans le blanc de nos yeux à l’ombre d’un cerisier. Et là c’est l’orgasme.
Elle porte un chemisier blanc et elle souris, comme toujours quand elle rêve ou quand elle est amoureuse. Je sais qu’elle a les mots à me dire. Comme on dirait un secret à un enfant. Comme Rachmaninov sur son piano. Puis-je être dans nos rêves ? Et regarde, vois comme nos mains sont blanches, nos seins sont ronds, que nos yeux sont bleus, que nos vies sont noires, que nos cheveux sont roses. Le beau qui manque à ma vie s’égare dans vos regards. J’hésite longtemps et je sens l’eau fraîche mais sale sur mes doigts. J’ai encore se foutu sentiment qui revient, récurrent dirons-nous. L’envie de partir, de courir très loin, très vite de rejoindre quelqu’un quelque part. Ce dire qu’on nous attend peut-être dans un endroit inconnu serait presque excitant. Surtout quand on ne veut pas retourner chez soi. Il n’y a d’ailleurs plus d’eau chaude, on nous l’a coupé. C’est étrange, la violence de se dire ça. À la limite je rejoindrais, Raph’ chez elle, au moins elle a de l’eau chaude. Enfin je crois. Elle m’avait dit, il y a de ça quelque mois, « Le rose est une douleur ». Je n’avais pas très bien compris, mais ça m’avait plus, maintenant j’ai compris.
Je ne sais plus trop quoi penser, à quoi penser quand on vient de te dire que tu avais une sorte d’épée au dessus de la tête qui peut tomber n’importe quand. Faire rimer solitude et incertitude en même temps et avec justesse. Je n’ai pas vraiment besoin d’avoir la pluie dans les yeux, mais ça soulage un peu. Comme d’être dans sa bulle sans rien ni personne autour de vous pour vous faire chier, pour vous vendre des fleurs qui vous serviront à draguer, « Non merci, on a déjà baisée ». Le goût de la drogue dans mes veines me manque un peu, bientôt ce sera le goût de feu mes T4. J’ai plus trop envie de penser à ça sinon je vais encore voir les lumières danser devant mes yeux comme tout à l’heure en sortant du bus. À croire que l’on né pour être seule et se dire au revoir. Apprendre à devenir des « hommes » grands, forts, beaux et blonds. Je me sens parfois amer, amer face à ma vie et face à ce que les autres disent de moi, on me dit monstre, mais je vous « monstre » le chemin quand vous voulez. Je n’ai pas la vie dont je rêvais, j’ai la vie dont j’ai besoin.
Je suis toujours en retard sur tout, Londres vient de me voler un garçon dont je méprends visiblement trop vite, mais ce n’est que pour deux semaines.

Luc, 17 ans, séropositif, amoureux de son oncle et de son parrain, sur les bords du canal Saint-Martin à Paris, le premier jour d’août, à la sortie du bus 91 et de la nuit, au début d’une nouvelle vie…






Ce n'est que pur fiction, entre nous soit dit...

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